Entremets El Djazaïr

Durant les quelques années qui m’ont conduit à parcourir l’Algérie, principalement d’est en ouest, j’ai eu la chance de croiser de très belles âmes, et j’ai également, eu l’occasion de goûter à des mets délicieux qui, pour certaines d’entre eux, ont ponctué ces rencontres d’un sentiment inoubliable.

C’est donc avec ce même plaisir, celui qui vise à enchanter, à faire tomber papilles et pupilles en pâmoison, que j’ai concocté ce gâteau qui s’inspire des saveurs de ce pays. Le fond de l’entremets se compose d’un biscuit savarin qui a été imbibé dans un sirop aromatisé aux zestes d’agrumes et au Monbazillac.

Pourquoi avoir opté pour ce savarin ? Parce que lors de mon premier périple en Algérie, qui remonte à mars 2016, je fus étonné par la grande variété des pâtisseries que l’on retrouve sur Alger. Les spécialités françaises et européennes en général, côtoient les tchareks, les dziriettes et les makrouts elouz, même si les gâteaux traditionnels sont plus souvent plébiscités lors des aïds, à l’instar du qelb elouz, ou des évènements qui couronnent la vie des familles algériennes. Le savarin, ou le baba au rhum, restent des valeurs sûres, au même titre que les éclairs, croissants, flans parisiens et autres millefeuilles que l’on retrouve dans toutes les pâtisseries et cafés de la capitale, à la seule différence que l’eau de fleur d’oranger aura remplacé le rhum.

Cette petite subtilité illustre beaucoup de choses dans la manière dont vivent les Algériens. Il n’y a, à mon sens, pas plus méditerranéens qu’eux, dans le sens où, ils aiment goûter à tous les plats emblématiques des pays voisins. La cuisine du monde, également, ne leur est pas insensible, bien au contraire. J’allais omettre de préciser que comme tout baba, ou savarin, qui se respecte, il est nappé à la confiture d’abricots faite maison. Mais revenons-en à notre entremets El Djazaïr. Au-dessus du savarin, on découvre un crémeux aux dattes particulièrement savoureux. Et pour ce faire, j’ai opté pour celles de Biskra. Je pense que je ferais plaisir aux connaisseurs si je vous avoue que je les aime bien charnues, et fondantes à souhait. Et que dire de cette peau, à la fois suffisamment translucide et luisante, qui laisse apparaître le noyau ? Elles sont tellement moelleuses, que lorsqu’on exerce une légère pression pour en détacher une, le noyau semble vouloir ne pas contrarier notre plaisir et reste accroché au reste de la grappe.

Un deuxième insert concocté à partir d’un confit de lamelles d’oranges vient agrémenter le gâteau. Mais parlons un peu des oranges. Car toute bonne table algérienne qui se respecte, comportera du khobz dar, du metlouh, voire de la kesra, nature ou farcie, et qui, à l’égard de certaines familles, sera un indice au sujet de leur origine, sans oublier des dattes ou des agrumes. Un rapide coup d’œil jeté au frigidaire permettra de découvrir une petite assiette de hmiss ou de chermoula qui exhale bon le carvi et le cumin. Et pour ma part, cela renvoie à des souvenirs bien précis, car lorsque je rentrais sur Alger le soir, j’avais pour habitude d’aller flâner dans le marché couvert qui se situe devant Djamaâ Lihoud. Si ce n’était pas du raisin sur lequel j’eus jeté mon dévolu, c’était sur ces belles oranges qui composaient parfois, mon unique repas du soir. Belles, et bien parfumées, elles se pèlent à la main avec beaucoup de facilité. Mais une fois en bouche, c’est un goût, un vrai goût d’orange au sens noble du terme, à la fois dénué d’amertume et peu acide, qui en libère tous ses arômes.

Afin d’apporter un peu de souplesse à l’entremets, j’ai choisi d’y incorporer une mousse à la crème anglaise et à la crème fleurette aromatisée au safran. Le choix du safran peut surprendre, car ce n’est pas l’épice la plus utilisée en Algérie, même si sa culture se développe dans la région de Tiaret. Utilisée pour parfumer la chantilly, et en association avec les dattes et les agrumes, c’est une merveille. Quant à la décoration, j’ai opté pour un flocage Ivoire de chez Valhrona. Au départ, pour réaliser cette fine coque qui enrobe l’entremets, je voulais m’en tenir à la seule couleur du chocolat blanc. Avec ces reflets légèrement nacrés, il me rappelait la soie des hayeks dans laquelle s’envelopper avec art les Algéroises. Cependant, pour éviter toute confusion, d’autant plus que le croissant et l’étoile renvoient au drapeau national, je l’ai enrichi d’un léger dégradé qui met en exergue l’effet velours procuré par le flocage. Un dernier insert réalisé à partir d’un confit de mandarine vient s’incruster en relief et apporte une dernière touche symbolique au gâteau.

Dans la série des questions superflues : « vous en reprendriez bien un peu ? »

Le choix du vin qui compose ce sirop est primordial, et lors de mon premier essai, j’avais opté pour la Fleur d’Aboukir, un vin blanc, plutôt sec, et aux délicates notes florales qui a fait la renommée des vins de l’est de l’Algérie. Cependant, afin d’apporter plus de sucrosité, de moelleux et de puissance aromatique à cet entremets, j’ai demandé conseil à mon caviste, qui après réflexion, m’a suggéré un magnifique Monbazillac. Mais pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de la Cuvée de l’Apôtre produite au château Haut-Fongrive en Charente-Maritime. Avec sa belle robe ambrée, il s’avère une fois débouché, aussi puissant au nez qu’en bouche. Un vrai bonheur.

Autant vous le dire de suite, les notes fruités de ce vin liquoreux persisteront longuement en bouche après que vous ayez savouré cet entremets. Et au vu de la moue qu’ont dessiné mes invités, je crois qu’ils se souviendront longtemps de cette dégustation.

Cet entremets est un peu long et technique à réaliser. Je conseille par conséquent de bien lire la recette, et de vous assurer d’avoir tout le matériel adéquat pour vous lancer dans sa préparation. La partie la plus délicate à concevoir est bien entendu cet insert qui vient s’incruster en surface. Pour y parvenir, j’ai utilisé trois cercles à entremets, et le montage a été effectué à l’envers.

Matériel :

  • Un cercle inox de 20 cm de diamètre sur 6 de haut pour l’entremets
  • Un cercle inox de 18 cm de diamètre (peu importe la hauteur)
  • Deux cercles inox de 12 et 16 cm de diamètre (peu importe la hauteur) pour l’insert croissant de lune
  • Un emporte-pièce en forme d’étoile ( https://www.cultura.com/set-4-emporte-pieces-etoiles-3700408437626.html )
  • Un mixeur plongeant
  • Une maryse
  • 1 spatule en inox
  • Une balance de précision pour les petites pesées
  • Un robot pâtissier
  • Une thermo-sonde
  • Un pistolet à peinture

Ingrédients (pour un entremets de 8 personnes) :

Biscuit savarin :

  • 115 g de farine t45
  • 11 g de levure fraîche
  • 88 g d’oeufs entiers
  • 2 g de fleur de sel
  • 30 g de sucre semoule
  • 68 g de beurre pommade
Pour le sirop :
Pour le nappage :
  • 3 cuillères à soupe de confiture d’orange finement mixée

Crémeux aux dattes :

  • 260 g de dattes dénoyautées
  • 208 g d’eau
  • 2,5 g de gélatine
  • 30 g de jaunes d’oeuf
  • 50 g de sucre semoule + un sachet de sucre vanillé
  • 14 g de maïzena
  • 200 g de lait entier
  • 107 g de beurre froid

Insert orange :

  • 100 g d’écorce d’orange (donc deux belles oranges)
  • 40 g d’eau
  • 55 g de sucre
  • jus d’orange (on va utiliser le jus des deux oranges dont on a retiré l’écorce)
  • 3 g de feuille de gélatine

Insert mandarine :

  • 50 g d’écorce de mandarine (donc deux mandarines)
  • 20 g d’eau
  • 30 g de sucre
  • jus de mandarine (on va utiliser le jus des deux mandarines dont on a retiré l’écorce)
  • 1,5 g de feuille de gélatine

Mousse safran :

  • 232 g de crème liquide entière
  • 232 g de lait
  • 91 g de jaune d’œufs
  • 45 g de sucre
  • 4 g de safran
  • 8 g de gélatine
  • 325 g de crème liquide entière

Finition :

  • 110 g de chocolat blanc
  • 70 g de beurre de cacao
  • Colorant vert
  • Une dizaine de dattes bien charnues

Biscuit savarin :

Effritez la levure pour la laisser tomber au fond du bol du robot, mélangez dans un autre récipient, la farine, le sucre et la pincée de sel, et versez ce mélange par-dessus. 

En fonction de la température ambiante, placez votre bol au frigidaire durant cinq minutes, ainsi que les oeufs mélangés dans un bol. L’ensemble ne doit pas trop chauffer lors de la préparation de la pâte.

Mettre à battre lentement en versant les oeufs au fur et à mesure. Cornez le fond du bol dès que le mélange devient homogène, puis remettez à battre à vitesse presque maximale, durant 15 minutes. La pâte doit bien se détacher des parois.

Incorporez petit à petit le beurre pommade taillé en dès. Et battez 4 minutes supplémentaires. Versez dans votre cercle de 18 cm, lui-même déposé sur une plaque de cuisson recouverte de papier sulfurisé.

Couvrez d’un linge bien humide et laissez pousser 1h à 1h30 selon la température ambiante. Idéalement près d’une source de chaleur, tout en vous assurant qu’elle ne dépasse pas les 28 degrés.

Faîtes cuire 20 minutes à 170 °C chaleur tournante.

Décerclez, et laisse sécher, rassir légèrement, votre biscuit savarin durant une journée à température ambiante.

Le lendemain, préparez votre sirop en faisant bouillir l’eau et le sucre, puis hors du feu, plongez-y les zestes, et laissez infuser quelques minutes. Versez le Monbazillac, remuez et laisser reposer une heure ou deux.

Entre temps, découpez en deux votre biscuit savarin dans le sens de l’épaisseur, afin d’obtenir deux galettes d’environ 1 cm d’épaisseur, et plongez une tranche dans le sirop. Attention, le biscuit va rapidement se ramollir et devenir fragile. L’idéal est disposer le biscuit sur une plaque à pizza perforée que vous pourrez déposer dans un récipient contenant le sirop. Pour le retourner, utilisez une autre plaque, ou une assiette, mais évitez de le saisir avec les doigts, au risque de le briser. Au bout de quelques minutes, quand le biscuit est bien gorgée de sirop, déposez-le sur une grille, afin de procéder au nappage.

Dans une petite casserole, faites chauffer la confiture d’abricot, et mixez-la finement. Versez généreusement sur le biscuit savarin, et sur les deux faces, en prenant soin de le retourner délicatement, jamais avec les doigts.

Placez-le au congélateur, sur sa grille. Au bout d’une heure, quand le biscuit s’est raidi et la confiture figée, filmez-le biscuit, et réservez au congélateur.

Crémeux aux dattes :

Pour débuter, réalisez la purée de dattes avec l’eau et les dattes dénoyautées, coupées en petits morceaux, que vous faites cuire durant dix minutes, puis que vous mixez finement avec le mixeur plongeant. Réservez.

Dans un cul de poule, faire blanchir les jaunes d’oeuf avec le sucre semoule et la Maïzena. En parallèle, dans une casserole, portez à ébullition le lait entier avec le sucre vanillé et 200 g de purée de datte sans cesser de remuer.

Versez une louche du mélange infusé sur le mélange jaune d’oeuf-sucre semoule-maïzena en fouettant énergiquement afin que les oeufs ne cuisent pas sous l’effet du lait bouillant. Reversez ce mélange dans la casserole et remettre à chauffer à feu moyen tout en remuant jusqu’à ce que la préparation épaississe (comme une crème pâtissière).

Hors du feu, incorporez la gélatine bien essorée et le beurre coupé en petits morceaux. Bien mélanger afin d’obtenir une préparation lisse et homogène. Coulez immédiatement dans un cercle inox filmé. Laissez refroidir, puis filmez également le cercle par-dessus, et placez votre insert au congélateur pendant au moins 4 heures. Démoulez, récupérer votre cercle pour réaliser les autres inserts, et refilmez le tout.

Insert orange :

Piquez les oranges avec une fourchette, puis blanchissez-les en entiers en commençant à chaque fois avec de l’eau froide. À la première ébullition, changez d’eau. Renouvelez l’opération trois fois. Coupez ensuite les fruits en fine lamelles, en prenant soin de ne conserver que l’écorce, sans la partie blanche.

Pour ce faire, coupez l’orange en tranches d’un centimètre, puis réalisez une petite incision sur un coté, puis avec l’aide de la pointe du couteau, ôtez l’écorce proprement. Servez-vous d’un ciseau afin de tailler de fines lamelles d’environ 3 mms de largeur, sur 3 cms de long.

Faites cuire à feu doux, durant 45 minutes, avec l’eau, le sucre, et le jus d’orange que vous aurez récupéré à partir des tranches . Remuez de temps en temps, et surveillez afin qu’il y ait toujours un peu de sirop pour confire les lamelles. Ajoutez un peu d’eau, avec parcimonie, au fur et à mesure, juste pour permettre au sirop d’épaissir et d’éviter que les lamelles cramoisissent au fond de la casserole. 4-5 minutes avant la fin de la cuisson, ajoutez si besoin, une dernière fois un peu d’eau, et laissez réduire, de manière à avoir toujours un peu de liquide dans la casserole. Hors du feu, ajoutez la gélatine hydratée dans l’eau froide et essorée. Coulez immédiatement dans un cercle de 18 cms filmé. Attendez que la compotée ait refroidi, puis filmez et réservez au congélateur.

Insert mandarine :

Réalisez exactement les mêmes étapes que pour l’insert orange.

Placez vos deux cercles sur une feuille de carton, idéalement du carton de boite pâtissière, puis tracez le contour de vos cercles. Découpez dans le carton, le croissant de lune et l’étoile. Cela vous servira lors du flocage.

Filmez vos deux cercles (12 et 16 cms de diamètre)

Coulez votre compotée afin de former le croissant de lune. Assurez-vous qu’il y ait juste ce qu’il faut pour constituer ce croissant, autrement dit, la couche doit rester fine. Faites la même chose avec l’étoile. N’oubliez pas de filmer l’étoile, pour éviter que la compotée ne s’échappe. Afin d’apporter une subtile touche esthétique supplémentaire, vous pouvez ajouter quelques pistils de safran sur la compotée. L’effet visuel sera au rendez-vous.

Réservez au congélateur.

Mousse safran :

Placez un saladier ou un grand cul de poule au congélateur, avec les fouets du batteur.

Faites tremper la gélatine dans un grand bol d’eau froide.

Faites frémir le lait, la crème (les 232g) et plongez-y le safran. Laissez infuser dix minutes à couvert.

Mélangez au fouet le sucre semoule et les jaunes d’œufs dans un bol, faites légèrement réchauffer votre mélange lait-crème, chinoisez afin de retirer les pistils, puis versez la crème frémissante sur le mélange sucre-jaunes. Transvasez à nouveau dans votre casserole et faites cuire le tout à 83°C sans cesser de remuer pour éviter que les jaunes coagulent et collent contre la paroi de la casserole.

Dès les 83 degrés atteints, versez la crème anglaise dans un autre récipient pour stopper la cuisson. Ajoutez-y la gélatine bien égouttée et pressée dans votre main, puis remuez une dernière fois avec le fouet.

Vous pouvez placer votre crème anglaise au réfrigérateur, afin d’accélérer son refroidissement, tout en continuant à contrôler sa température.

Entre temps, sortez votre saladier ou votre cul de poule, et les batteurs du fouet du congélateur, et faites monter la crème liquide. La crème fouettée doit être ferme, mais pas trop. Réservez au réfrigérateur.

Lorsque la température de la crème anglaise se situe entre 25 et 30 degrés, sortez la crème fouettée et la crème anglaise du réfrigérateur.

Mélangez et procédez immédiatement au montage.

Montage :

Filmez votre cercle inox de 20 cms de diamètres par 6 de haut, proprement afin qu’il n’y ait aucun pli. Déposez délicatement le croissant et l’étoile, à l’envers naturellement, car il s’agit d’un montage à l’envers. Retirez le dernier cercle du centre, contre lequel était coulé le croissant.

Versez délicatement la mousse safran par-dessus, elle doit recouvrir le croissant sur une épaisseur d’un centimètre. Plongez-y ensuite l’insert orange. Et enfoncez-le délicatement.

Recouvrez l’insert d’une couche de deux centimètres, puis plongez-y l’insert de crémeux aux dattes. Enfoncez-le lui aussi délicatement dans la crème.

Recouvrez de crème, en nappant bien les bords, afin d’y loger le biscuit savarin. Enfoncez-le, mais de manière à le laisser dépasser d’environ de 2 mms. Le fait qu’il déborde légèrement du cercle, vous permettra d’éviter d’abimer les bords de votre entremets lorsque vous le déplacerez sur les grilles.

Une fois bien congelé (6 heures au minimum), décerclez l’entremets, et réservez-le sur une grille.

Floquez-le au chocolat blanc, auquel on ajoute le beurre de cacao passés tous les deux au bain-marie. Gardez-en un peu, pour y ajouter un peu de colorant vert, afin de réaliser un joli dégradé.

Pour protéger l’insert de mandarine qui constitue le croissant et l’étoile, placez votre gabarit en carton que vous aviez préalablement découpé avant de réaliser votre insert. Utilisez un léger poids (des cuillères à café par exemple) pour le plaquer contre l’insert, sinon l’air soufflé par le pistolet aura vite fait de le faire partir.

J’ai retiré le gabarit pour m’assurer que le résultat était convainquant, avant de réaliser le dégradé

Dernière touche finale. Faites fondre l’équivalent de deux cuillères à soupe de nappage neutre, puis versez-le consciencieusement sur votre insert mandarine afin d’obtenir un résultat parfaitement lisse et brillant.

Laissez décongeler une nuit ou 6 heures au minimum.

Bonne dégustation !

Articles recommandés

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *